La Banque Populaire Grand Ouest, fondée en décembre 2017 à l’occasion d’une fusion entre quatre établissements, a impulsé dès 2018 plusieurs initiatives au service de deux enjeux stratégiques. Le premier enjeu était de libérer le plein potentiel de nos salariés.es en permettant à celles et ceux qui le souhaitent de se mobiliser sur des projets transversaux, devenir des acteurs plus autonomes et apprenants pour mieux servir les intérêts des parties prenantes de notre écosystème, clients, sociétaires et partenaires. Cet enjeu de libération du plein potentiel de nos salariés.es s’appuie sur une vision humaniste qui met sincèrement en tension le bien-être, l’engagement et la performance des équipes. Notre métier de banquier-assureur étant un métier de relation et d’accompagnement des projets de nos clients, nous sommes en effet convaincus que l’attention bienveillante portée à nos équipes se traduit par prolongement dans une relation de qualité avec nos clients et ainsi, dans des niveaux de satisfaction et de performance accrus.

La réalisation de ce premier enjeu et les initiatives liées permettaient de satisfaire un second enjeu plus contextuel, lié à la fusion, qui était d’initier la création d’une nouvelle identité culturelle commune à l’ensemble des salariés issus de quatre corps sociaux distincts.

Ainsi, au sein d’un secteur d’activité dont le fonctionnement est historiquement « verrouillé », enfermant chaque salarié.e dans une « cellule » bornée horizontalement par des niveaux hiérarchiques et verticalement par des cloisons métier, notre première étape a été de proposer à chacun « d’exploser la cellule ».

Première expérimentation : l’innovation participative

Dans l’idée de valoriser tous les talents et toutes les idées, nous avons démarré en proposant une démarche d’innovation participative, « Dynamigo », qui offrait la possibilité pour chacun.e de participer à des projets constitués autour d’un sujet apporté par l’un des participants, y compris dans des domaines sans lien direct avec sa fonction ou le périmètre de sa responsabilité. Ce lancement s’est fait dans le cadre d’une expérimentation, sans communication institutionnelle, lancée sous la forme d’une invitation faite aux équipes à se mobiliser sur des sujets choisis librement. Nous avons proposé à titre purement indicatif des thèmes, tels que la simplification de nos processus ou la création de valeur pour nos clients avec des offres nouvelles. Nous voulions tester l’intérêt du terrain, son envie de s’inscrire dans la démarche.

Cette expérimentation comprenait deux règles du jeu : les décisions finales de mise en œuvre d’un projet « Dynamigo » sont du ressort du comité exécutif et le groupe a l’obligation, avant présentation au comex, de consulter en interne toutes les directions dont l’avis est indispensable avant mise en marché (conformité, risques, informatique, RH, …), afin que la démarche soit apprenante et la solution proposée la plus robuste possible.

Aujourd’hui bien installée, la démarche produit une petite dizaine de projets par an, tous validés en comex pour mise en œuvre ou poursuite des travaux.

Le premier sujet instruit par la démarche « Dynamigo » et donnant lieu à un livrable, a été le dispositif « Cailloux dans la chaussure ». Il s’agit, pour un groupe de volontaires issus de nos différents métiers, de recueillir et de traiter des irritants (plusieurs centaines par an). Ce dispositif, également expérimental, a été amendé progressivement par un outillage (plateforme de saisie) permettant un élargissement à d’autres contenus, tels que les suggestions. Nous avons complété par la suite ce dispositif pour traiter les « menhirs », c’est à dire les irritants complexes dont la résolution suppose une capacité à engager un budget ou des ressources en transversal. Et nous finalisons en ce moment un « branchement » entre les « cailloux » et le Lab’ Innovation créé en 2021 autour de l’incubation interne de projets à forte valeur ajoutée.

Cette description un peu détaillée permet de qualifier notre approche expérimentale : participative, incrémentale avec un côté non abouti et donc par définition ouvert, appelant d’autres évolutions et améliorations continues. Une approche qui permet également de progressivement changer d’échelle, de connecter et mettre en résonnance plusieurs dynamiques de transformation.

La mobilisation transversale : un enjeu de performance

Quelques mois plus tard, en observant le fort engagement de volontaires sur divers sujets et après écoute de nos managers, nous avons communiqué une nouvelle règle du jeu, qui précise que tout volontaire bénéficie d’une autorisation à mobiliser jusqu’à deux jours par mois dans le cadre de son engagement transversal.

Les contributeurs volontaires représentent divers métiers et niveaux d’intervention dans l’entreprise, les sujets traités sont peu ou pas en lien avec ceux gérés dans le périmètre professionnel conféré par la fonction. Nous comptons une douzaine de communautés, dont les noms illustrent les missions couvertes : les « Elles du Grand Ouest », les « Formateurs internes », les « Facilitateurs », les « Ecoutants », « Respire » dédiée aux actions internes de réduction des gaz à effet de serre, … Et toujours « Dynamigo » pour l’innovation participative. A date, plus de 950 salariés.es, soit un tiers de notre effectif, participent très régulièrement aux travaux d’une communauté, qui en d’autres temps ou dans d’autres structures seraient portés par des directions métier.

Ce fonctionnement transversal est progressivement entré dans notre ADN, à tel point que la moitié des chantiers du projet stratégique de BP GO, élaboré en 2020 et lancé début 2021, a été prise en charge par des responsables de projets qui ne sont pas du métier. C’est remarquable, car il ne s’agit plus seulement d’un engagement volontaire sur un sujet choisi librement, mais bien de porter – avec une forte exigence de résultat – un chantier du projet stratégique de la banque, en matière d’accompagnement des transitions, de croissance bleue ou de qualité de service. Si des responsables de projet non experts du sujet se sont autorisés à s’emparer de chantiers stratégiques, c’est qu’ils se sont sentis autorisés à la faire.

Cette transversalité, portée par des responsables de projet qui challengent les directions métier, leurs habitudes et raisonnements, permet de repousser les frontières du possible. Elle devient facteur de transformation et d’efficacité. Je précise en outre, que ce mouvement s’est installé entre 2018 et 2021, période pendant laquelle nous avons réduit notre effectif de 15% (-450 CDI) dans le cadre du projet de fusion des quatre banques.

L’expérimentation : à l’origine de transformations du système de management

L’expérimentation, telle que pratiquée dans l’entreprise, a permis d’engager d’autres transformations managériales profondes. Nous avons décidé à l’été 2020, à l’issue de la première période de confinement déclenchée dans le cadre de la crise sanitaire du COVID, de réaliser une opération d’écoute de l’ensemble de nos équipes. D’abord pour inviter les salariés à partager en équipe les émotions vécues à l’issue de cette expérience inédite du confinement, ensuite pour qu’ils expriment leurs attentes en termes de transformation (3000 verbatims collectés). Cet exercice a révélé une grande attente des équipes commerciales du réseau d’agences pour le travail distant (ou télétravail), alors que la direction avait décidé que tous les points de vente resteraient ouverts pour accueillir les clients et que les équipes seraient présentes, afin de faire face ensemble à la tension et l’éventuelle complexité des situations. Pour autant, l’attente pour le travail distant était forte et nous avions suscité son expression. Nous avons donc décidé à l’automne 2020 de lancer une expérimentation pour étudier les modalités qui permettraient de concilier les intérêts de toutes les parties.

Ce sujet du travail distant a marqué un réel tournant dans notre approche expérimentale, car il ne bénéficiait pas a priori d’un consensus au sein de nos lignes managériales parfois réservées quant à son impact sur le fonctionnement opérationnel des agences et, in fine, sur le niveau de satisfaction des clients.

Pour avancer dans cet environnement complexe nous avons, au sein de la direction, précisé nos éléments de cadrage. Nous avons ensuite amené les lignes managériales à exprimer leurs propres attendus et exigences (ex : maitrise du référentiel métier), pour qu’ils soient pris en compte dès le début de la phase expérimentale. L’expérimentation a démarré avec quelques agences volontaires puis a été progressivement étendue à d’autres points de vente, différents en termes de clientèle ou d’organisation. Les équipes et les managers ont été entendus sur leur vécu tout au long du test et nous avons progressivement gagné en compréhension, en expérience … et en convictions. Les exigences posées par la direction ont été complétées par les observations des équipes et managers de proximité, jusqu’à disposer de principes précis définissant les règles d’éligibilité, les règles d’usages et pratiques managériales associées. Cette démarche expérimentale ayant permis de coconstruire un cadre précis, le dialogue social pour la transposition dans un accord d’entreprise a été facilité.

Cette expérimentation nous a fait prendre conscience de la grande efficacité d’une telle modalité dans un contexte complexe et sur un sujet sensible. Elle n’avait pas vocation à valider si nous avancions ou pas, mais bien à élaborer ensemble le meilleur chemin pour avancer dans la direction souhaitée.

La place du Management dans les expérimentations de transformation, la deuxième brique

Nous l’avons précisé, l’expérimentation permet de « mettre en culture » des transformations en environnement complexe, en présence de parties prenantes (direction, managers, équipes, filières métiers, clients, partenaires …) dont les intérêts ou visions peuvent sensiblement diverger en amont de l’expérimentation.

Il est donc indispensable que les acteurs embarqués, équipes et managers, s’autorisent à s’exprimer de manière sincère. En effet, comme expliqué sur le sujet du travail distant, l’authenticité des témoignages et des contributions des équipes est indispensable pour ajuster les solutions au fil de l’expérimentation. Pour favoriser cette expression libre et sincère, nous avons proposé à tous nos managers une formation basée sur l’intelligence émotionnelle et la posture « manager ressource ». Cet accompagnement installe progressivement des pratiques relevant de l’écoute, de la liberté de parole, de l’expression critique et de l’apprentissage de la confrontation saine entre acteurs en présence.

Les managers sont donc plus à l’aise dans leur rôle de relais entre leurs équipes et la direction, car ils savent que les équipes s’expriment avec authenticité et que tout est fait pour entendre ce qu’elles ont à dire.

En effet, l’expression authentique et sincère des acteurs en présence sont des prérequis indispensables pour la conduite et la réussite de nos expérimentations et transformations car « faire plaisir » ou « craindre de s’exprimer » peuvent piéger les projets et les équipes impliquées. Toutes les expressions, favorables ou réservées, propositions de remédiations, sont autant de leviers d’amélioration pour la suite. Ces contributions positives et négatives, bien prises en compte, facilitent l’ancrage et le déploiement large d’une transformation dans la réalité de l’organisation. Elles peuvent se traduire en partages de bonnes pratiques à généraliser, de chartes ou guides pour accompagner les futurs utilisateurs, en formations ou autres actions d’accompagnement, en équipements, …

Nous avons abordé l’expérimentation comme un cheminement, comme une dynamique que l’on accompagne pour aller jusqu’à des transformations profondes du système. Nous avons vu comment elle croise les enjeux et les questions management. Mais une grande part de la réussite de ce chemin se joue dans l’amont.

L’intention initiale : au début d’une expérimentation

Le lancement d’une expérimentation est un moment clé et délicat. Le point de départ relève plutôt d’une vision, d’une intuition, d’un engagement basé sur une valeur, et non d’un bon de commande précis. Il est toutefois essentiel de vérifier que la « cible désirée » est bien adossée à des attentes et des besoins réels exprimés par des utilisateurs, salariés, clients. Les « fausses bonnes » idées qui prendraient appui sur de « bonnes intentions » ou une projection sans lien avec les attentes des équipes ne pourront pas prospérer.

L’expérimentation peut ensuite faire prospérer une idée et lui donner corps, alors même qu’elle ne fait pas l’unanimité, à la condition que les parties prenantes – même opposées – se sentent au démarrage écoutées et respectées. L’intention initiale doit prendre en compte la diversité des intérêts des parties prenantes, l’intégration de leurs exigences dès le départ évite les vétos ou l’ensablement (ou le sabotage discret) des projets. Cette phase d’expression et d’énoncé de l’intention, précisée par des itérations successives, est donc essentielle.

L’attention du dirigeant : une clé de management pour faire des expérimentations un puissant levier des transformations

L’engagement des équipes pour coconstruire l’avenir de l’entreprise est un facteur clé de succès, car elles sont au contact des clients, des fournisseurs, des outils et des processus. Elles sont des forces vives pour proposer des évolutions et des transformations complémentaires à celles initiées par la direction. Ce mouvement ne se décrète pas, il exige un cadre, des autorisations, des règles du jeu, des moyens et une attention permanente à ce qui se joue.

Nous avons choisi d’inscrire cette dynamique dans une expérimentation ouverte, pour laisser venir, révéler les attentes des équipes et contribuer à libérer le potentiel de celles et ceux qui souhaitaient s’associer à cette dynamique. Nous avons observé une transformation de l’état d’esprit du corps social, un engagement volontaire très fort sur des sujets qui étaient éloignés des champs de responsabilités initiaux. Et cet engagement transversal a irrigué tous les projets de l’entreprise, jusqu’aux chantiers stratégiques du projet d’entreprise, traditionnellement réservés aux experts du sujet, avec à la clé toute la richesse issue de la confrontation des directions métiers challengées par des acteurs « externes ».

Nous avons observé que les expérimentations menées permettaient d’initier des transformations managériales et organisationnelles en réelle rupture. Nos résultats le démontrent. Mais pour que cette modalité expérimentale devienne une vraie modalité managériale, nous avons appris à garantir les conditions de réussite rappelées plus haut et à être attentifs aux processus en cours. Cette exigence pour énoncer l’intention initiale, veiller aux processus en cours, faire preuve d’agilité le cas échéant, nécessite de la cohérence et parfois de la régulation dans nos cercles managériaux, à commencer par le comité de direction générale lui-même !

C’est au prix de cette attention continue que l’expérimentation peut devenir une clé managériale du dialogue intra entreprise, nécessaire pour relever les plus grands défis de transformation. Une nécessité qui tient à la distance qui sépare le dirigeant du théâtre opérationnel, et ce d’autant plus que l’effectif est important et/ou dispersé. La manière de communiquer, de donner du sens, d’arbitrer, d’être en relation avec les équipes devient vite un défi dans les organisations qui ne permettent pas de parler à chacun. Et l’expérimentation un moyen d’y palier, au service des transformations les plus ambitieuses.

 

Ute de Greslan – Blouin est directrice du pôle Ressource et Transformation, membre du Comité de direction générale de la Banque Populaire Grand – Ouest

Cet article exprime un point de vue. Il est surtout une invitation à en initier d’autres, en prolongement ou en rebond par rapport à cette esquisse. Les réactions et commentaires sont donc les bienvenus…

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