Heureux celui qui a des maîtres. Ces personnes qu’il reconnaît et choisit, qui l’inspirent et le guident. Et quel meilleur maître en matière de méthode que René Descartes lui- même ? Descartes et son Discours de la méthode. Il y exprime très précisément et très joliment – avec cette belle musique du français du XVII ième siècle – quelques idées fondamentales que nous reprenons à notre compte, c’est-à-dire celui d’un consultant qui conçoit et déploie des méthodes, et particulièrement des méthodes de réflexion et d’élaboration stratégique.

 René Descartes (1596 – 1650)

La première idée-force est dans le titre même de son admirable livre : « Le Discours de la méthode – Pour bien guider sa raison et chercher la vérité dans les sciences ». C’est cette partie méconnue du titre qui nous dit l’essentiel, le fait qu’une méthode est d’abord méthode « pour quelque chose », avant d’être méthode « de » quelque chose. La méthode est un guide – étymologiquement un « chemin à suivre » – qui ne doit pas nous faire perdre de vue ce qui prime, à savoir l’explicitation de la finalité d’un tel guide. En l’occurrence, la méthode de Descartes a pour finalité « la recherche de la vérité ». Et pas n’importe quelle vérité, « la vérité dans les sciences », il importe d’être précis et il invite lui-même à ne pas extrapoler sa méthode à d’autres finalités. Ce n’est pas un hasard si Descartes commence son texte par préciser la finalité de sa méthode. Il sait la tendance de la technique et du quotidien pour nous en éloigner… Et la postérité lui a malheureusement donné raison, en omettant la seconde partie de son titre. C’est là pour nous un double enseignement : l’enjeu de penser et d’exprimer la finalité de toute méthode, et celui de s’y tenir au fil du temps et de sa mise en œuvre.

La deuxième idée-force se situe dans son introduction et son premier chapitre. Descartes y expose les principes de sa méthode, tout en décrivant le cheminement personnel qui l’y a conduit. Ce faisant, il donne à ceux qui seraient tentés de l’utiliser les clés de l’idéologie sur laquelle elle s’appuie et qu’elle véhicule. Il donne aussi à ceux qui viendraient discuter ses résultats les moyens de critiquer la façon dont ils ont été obtenus. C’est là une des règles de la science et une de ses vertus : aucun résultat ne vaut sans avoir explicité la façon dont il a été obtenu. Il n’y a malheureusement pas grand-chose à attendre de la science et de la démarche scientifique (qu’il faut distinguer de la raison) dès lors que l’on s’intéresse à l’élaboration stratégique. Mais que la vie dans les entreprises et les organisations serait plus simple et moins inutilement conflictuelle si l’on importait du monde scientifique, et de Descartes, cette simple habitude de dire sur quoi se fonde ce que l’on avance ! Retenons juste à ce stade que toute méthode est tendue vers une finalité et qu’elle véhicule, de manière délibérée ou non, explicite ou non, une idéologie, une façon de penser le sujet auquel elle s’applique, auquel on l’applique.

De retour dans l’univers des organisations et des méthodes d’élaboration stratégique, cela invite à affirmer que choisir une méthode est un acte et une responsabilité de dirigeant. Parce que cela embarque une idéologie, que cela met le « comment » à un niveau stratégique.

La troisième et dernière idée que l’on retient de ce maître de la méthode, c’est que le volet formel, l’appareillage technique peut tenir en quelques règles. Descartes appuie sa méthode de découverte de la vérité dans les sciences (ce qui, on l’avouera, n’est pas un mince défi !) sur quatre règles ! Cet appareillage formel s’affine dans son usage et selon les types de sciences auxquelles il l’applique, mais l’essentiel tient en quatre règles, elles- mêmes explicitées simplement en quelques pages. Quelle leçon ! Surprenante leçon, que l’on n’imaginait pas avant la lecture : « Quoi, c’est juste cela, le fameux Discours de la méthode de Descartes ! ». On comprend alors, au nombre réduit et à la simplicité d’exposition de ces règles, que l’essentiel va être dans la façon de les mettre en œuvre, conforme à un esprit de la méthode, à sa finalité et à ses principes.

Le point du nombre réduit de règles a dans notre cas, celui de la conception et de la mise en œuvre de méthodes d’élaboration stratégique, une conséquence importante. Au regard de la diversité et de la complexité des situations auxquelles la méthode va s’appliquer, les quelques règles génériques que l’on va énoncer seront insuffisantes pour guider au jour le jour les acteurs. Cela signifie qu’il va falloir, en situation, compléter l’appareillage méthodologique. Il va falloir détailler les étapes, affiner les modalités et les grilles de l’analyse, concevoir des formats d’animation, de restitution… Et cela pour une grande part au fil du processus, chemin faisant, pour tenir compte de la spécificité du contexte mais aussi des productions intermédiaires et des dynamiques qui vont émerger au cours du processus. Ce qui pourrait paraître comme une limite est en fait l’une des principales vertus d’une telle approche de la méthode : combiner le fait de produire des repères clairs en amont (finalités, principes, règles) avec une faculté d’adaptation en cours de route. Ainsi, le souci de la méthode ne se limite pas à une phase amont de choix et de conception initiale. Le nombre réduit de règles, la volonté de s’adapter à la situation et d’en révéler la singularité vont faire de la méthode et de sa finalisation un sujet qui va accompagner l’ensemble du processus. Et quelle meilleure façon de réaliser cette adaptation, cette conception détaillée que d’y associer étroitement les acteurs mobilisés par la méthode ?

Nul doute cependant que parmi les acteurs des organisations qui vivent avec nous cette approche de la méthode, nombreux sont ceux qui auraient préféré un dispositif totalement ficelé dès le départ ! Une méthode qui dise précisément ce que l’on va devoir faire dans deux mois et trois jours. Une méthode qui dise dès le début ce que sera le format précis du rendu final. En choisissant de travailler avec une approche qui explicite clairement ses fondements et laisse ouverts ses détails à la co-construction, les commanditaires renoncent à cette forme de certitude. Ils y renoncent avec la conviction que ce sera au profit du résultat final, de la richesse et de la qualité du chemin qui va y mener. Ce n’est pas sans générer des difficultés, à certains moments. La mer produit ses tempêtes et le meilleur des marins fait des fautes de jugement. Mais du moment qu’il reste bien attaché et qu’il garde le sens de sa destination…

Un dernier ajout concernant Descartes et son discours avant de le quitter. Nous mettons, plus qu’il ne le fait, un accent très fort sur le fait qu’une méthode est aussi une exécution. Peut-être même avant tout une exécution, un art d’exécution. Car de la même façon qu’il faut mettre en accord la finalité de la méthode avec ses principes et ses modalités techniques, il faut accorder cet ensemble avec la pratique adéquate. C’est là, selon nous, une condition de réussite et un défi tout aussi importants que les précédents. Il y a des savoir-faire qui exigent bien plus que la simple application de règles prescrites. Ainsi, non seulement il y a une pratique, mais elle est exigeante. C’est au prix de cette exigence que la méthode ne va pas écraser une réalité, mais au contraire permettre d’en saisir et d’en exprimer toutes les nuances. Mais c’est là une autre histoire…

* Le Discours de la méthode ; pour bien conduire sa raison, et chercher la vérité dans les sciences – René Descartes (Juin 1637)

Par  Pascal Croset, Co-fondateur de Intedyn

Ce « Lu ailleurs », qui est l’un de nos formats de publication, exprime un point de vue. Il est surtout une invitation à en initier d’autres, en prolongement ou en rebond par rapport à cette esquisse. Les réactions et commentaires sont donc les bienvenus…

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