A la mi-2021, les élections régionales passées, la Région Occitanie se réorganise pour mieux servir les nouvelles priorités du mandat qui commence. Elle est d’une certaine façon une collectivité neuve, issue de la fusion six ans plus tôt des Régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées. Depuis sa création, elle s’est engagée dans ce qu’il est convenu d’appeler un « parcours de Transformation ». Une nouvelle culture managériale a émergé – autour des notions de confiance, de délégation, de responsabilisation, d’autonomie – qui est devenue dominante dans les discours mais pas toujours dans les faits. Comme toujours, il y a loin de la théorie à la pratique…

Rien que de très normal : ce type de changement ne se fait pas d’un coup de baguette magique. Cela prend du temps, d’autant que chaque équipe, voire chaque manager, avance à son rythme en fonction de sa personnalité et de son histoire. Pour accompagner ces changements, au-delà des grands-messes managériales et des formations, la Région s’est lancée début 2021 dans une expérimentation officielle du coaching interne sur la base d’une évaluation externe validant notamment la satisfaction des bénéficiaires. Assez modestement, puisque deux coachs internes sont venus renforcer l’offre d’un prestataire externe déjà proposée depuis quelques années. Mais en affectant des moyens et des postes au coaching, la Région affichait sa volonté d’utiliser ce levier et d’investir plus encore dans le développement des compétences managériales. Un travail quotidien, à bas bruit, de conviction et de diffusion de nouvelles postures, s’en trouvait crédibilisé.

Un an plus tard, à la faveur de la réorganisation, il est décidé de pérenniser l’expérience et de créer, au sein des ressources humaines, une « Mission d’Accompagnement du management des collectifs de travail ». La Mission se voit confier par la directrice de la QVT et de la formation, Laurence Peyronel, la feuille de route de faire passer « à l’échelle » le nouveau modèle managérial. C’est-à-dire « industrialiser » la diffusion de la culture managériale cible, avec une approche pluridisciplinaire : les outils mobilisés vont du coaching au conseil en organisation, en passant par des formations « maison », l’assistance à la conception et l’organisation de séminaires, des ateliers déclic, l’animation de la communauté des managers, etc.

Prendre en charge ce passage de la théorie à la pratique peut vite faire figure d’une vraie gageure quand on met en regard le nombre de managers – environ 350 pour les services du siège et un peu plus pour les équipes techniques des 225 lycées publics – et la très petite équipe de la nouvelle Mission : deux coachs internes, une conseillère en fonctionnement, une collaboratrice « couteau suisse ». « Votre tâche est d’industrialiser la transformation managériale » : avec un rapport d’un « accompagnateur » pour environ 200 managers, le plus réaliste aurait été de rebaptiser tout de suite notre équipe la « Mission impossible » !

Les contraintes sont souvent source d’innovation. Jean-Luc Nève, un des deux coachs internes, proposa au début de l’été une approche audacieuse : « puisque nous ne pourrons pas accompagner suffisamment de monde pour que ça change réellement le système, confions aux équipes le soin de se transformer elles-mêmes ». Comment ? En les outillant. L’idée de base, dont nous ne dévierons pas jusqu’à sa mise en œuvre, était de proposer aux équipes de s’auto-évaluer pour, en autonomie, mettre des données sur la table de la rituelle réunion de service, pour libérer la parole, identifier et traiter ensemble les points sur lesquels l’équipe doit et surtout veut progresser.

En pratique, il s’agissait de leur proposer un questionnaire permettant d’objectiver les ressentis au niveau du collectif. Une journée de séminaire a suffi à arrêter la liste des items à évaluer et le nom de l’outil : l’Equipomètre. Nous étions arrivés chacun avec des idées de questions et des références issues d’un travail classique de benchmarking. C’est ainsi que nous avons confronté nos intuitions avec les modèles éprouvés de l’enquête annuelle et internationale de l’institut Gallup sur “l’engagement des salariés” ; du baromètre interne utilisé par le ministère des Transports belge, qui fait référence en tant que tentative remarquée de « libération » au sein d’une administration ; du baromètre social de la Caisse d’assurance maladie de l’Aude, elle aussi aux avant-gardes de la transformation des organisations publiques ; et enfin, de l’enquête annuelle sur “le bien-être dans la fonction publique” de la Gazette des communes. Ces quatre questionnaires avaient pour intérêt à nos yeux d’écarter tous les sujets “métier” pour se concentrer sur le fonctionnement des équipes et sur la façon dont leurs membres vivent au quotidien leur implication professionnelle au sein de ces équipes.

Nous en avons tiré notre propre questionnaire « maison ». Les items vont de « j’aime mon travail » à « dans mon équipe, les décisions sont claires, prises au bon niveau et suivies de faits », en passant par des items de confiance, d’entraide, de capacité à développer des compétences, etc. Autant de critères sur lesquels l’équipe a des leviers d’amélioration de ses compétences comportementales, les fameux « soft skills », avec ou sans notre accompagnement. Sur chacun des 14 affirmations proposées, les agents doivent noter de 0 à 10 leur ressenti. La 15e affirmation, « j’ai personnellement contribué ces derniers jours à faire progresser les points ci-dessus », a l’ambition de faire réfléchir le répondant sur ses responsabilités dans l’amélioration du fonctionnement de son équipe. Il ne s’agit pas d’en rester à une posture de Caliméro ou même de simple passivité. L’idée est que chacun est acteur, qu’il y a bien-sûr une responsabilité individuelle dans le fonctionnement d’un collectif.

Le système ne peut fonctionner selon nous que sur le volontariat : entrer dans le dispositif de l’Equipomètre suppose donc l’accord du groupe. La question du volontariat a soulevé de longs débats : fallait-il l’unanimité des membres de l’équipe pour se lancer dans l’expérience ? Il nous est vite apparu que l’engagement du seul manager ne suffisait pas : dans un système qui repose sur la participation de tous et qui mise sur la libération de la parole, notamment, le manager ne peut pas « vouloir à la place » de ses équipiers. Pour autant, un seul membre peut-il empêcher son équipe d’avancer ? Notre préconisation, pragmatique, a été de rechercher l’unanimité et de laisser la liberté à tel ou telle, s’il est très minoritaire, de garder, un temps, une position d’observateur : personne n’est contraint à remplir le questionnaire, ni à participer aux séances de débrief. En pratique, nous parions sur l’effet d’entraînement du dispositif, une fois les craintes ou le scepticisme dissipés.

Le mécanisme concret proposé aux volontaires est le suivant : tous les mois, chaque membre de chacune des équipes inscrites reçoit un lien vers le fameux questionnaire, administré en ligne et rempli anonymement. L’anonymat est justifié par deux convictions : d’une part, il permet une expression sincère et vraie ; d’autre part, ce qui nous intéresse ici c’est le ressenti moyen de l’équipe, considérée comme une entité en soi. Si l’on recherche des feedbacks de chaque agent, c’est aux entretiens annuels ou à la machine à café qu’il faut les recueillir, pas via l’Equipomètre. Par conséquent, une fois ces formulaires remplis, nous restituons à toutes et tous les moyennes obtenues sur chaque item par chaque équipe.

 

Le choix – et le défi – de la transparence

« A toutes et tous » ? Eh oui ! les résultats ne transitent pas par le manager. Bien plus, ils sont accessibles à tous les agents de la Région, publiés en libre accès sur l’intranet en face du nom de l’équipe concernée. Nous avons fait le choix, longuement réfléchi, de la totale transparence. Pourquoi ? C’est pour nous l’élément le plus transformant de l’Equipomètre. Y entrer, c’est d’abord adopter la fameuse « posture basse », assumer que l’équipe n’est pas parfaite – personne ne l’est – et qu’on l’utilise justement pour se perfectionner. C’est également entrer dans une communauté d’agents qui travaillent sur leur fonctionnement d’équipe, qui peuvent s’entraider, échanger sur la base de ces résultats : l’équipe n’est pas seule, elle fait partie d’une démarche visible et affichée au sein de l’institution. C’est par ailleurs bien marquer que c’est l’équipe qui s’engage dans l’Equipomètre, pas le seul manager.

Enfin, nous avons fait le pari que seule la transparence totale des résultats permettrait qu’ils ne soient pas instrumentalisés : il y a encore trop de managers qui pensent que détenir et retenir l’info c’est avoir du pouvoir sur une situation ou des gens (en l’occurrence sur les équipes volontaires), alors que le seul pouvoir que cela donne, c’est de détruire de la valeur. La question nous aurait toujours été posée de savoir si nous communiquions aussi les résultats au N+1 ? Au N+2 ? Au DGS ? Et s’ils seraient regardés lors des avancements ou promotions ? La transparence vise à faire de tout cela un non-sujet et Simon Munsch, le DGS de la Région s’est engagé dans une vidéo à ne pas faire de l’Equipomètre un outil d’évaluation, invitant ses collègues à en faire de même. Les valeurs qui fondent l’Equipomètre, dont la transparence est la plus forte, doivent être en elles-mêmes un vecteur de transformation.

Bien-sûr, cela ne va pas de soi. Et c’est sur ce sujet de la transparence que se sont logiquement cristallisées toutes les hésitations avant le lancement de l’Equipomètre. D’abord celle des managers qui ont – un peu – craint le regard de leurs homologues et – beaucoup – redouté les injonctions de leur hiérarchie. Une partie de ces craintes individuelles ont été levées par la vidéo du DGS. Mais les principales hésitations sont venues du Codir qui s’est cabré devant cet « obstacle » de la transparence. Ce qui a été formulé, c’est la volonté de “protéger” les managers de proximité. Il nous a été proposé de prévoir une période probatoire de quelques mois sans transparence, pour que les équipes aient le temps d’améliorer leurs résultats. Comme s’il n’était pas permis de ne pas être au top sur tous les items… Difficile pour nous de ne pas faire l’hypothèse d’une difficulté à lâcher prise sur ces enjeux de pouvoir que sont l’information, la mesure, les indicateurs, autant d’outils traditionnellement “réservés” au top management. Notre Codir a cependant été exemplaire puisqu’après un long débat, il nous a laissé faire l’expérience.

Au passage, il est intéressant de noter un premier effet potentiellement transformant de l’Equipomètre : il a permis un débat en Codir sur la transparence de l’information, sur la posture basse, il a permis à chacune et chacun de mesurer où il en était, jusqu’où il était prêt à aller dans la “nouvelle culture managériale” de la Région Occitanie.

Après cette clarification, il ne restait qu’à lancer l’appel à volontaires. Nous l’avons fait via l’intranet et le classique mail. Il a fallu bien entendu doubler ces messages écrits de relances téléphoniques ou en tête à tête auprès des agents que nous savions les plus disposés à entrer dans cette logique et à y adhérer. Après quelques jours de campagne, nous avons enregistré 41 équipes volontaires, soit plus de 400 agents destinataires du premier mail invitant à répondre au questionnaire de l’Equipomètre. Un volume à la fois modeste à l’échelle de la collectivité (environ 7000 agents), mais suffisamment significatif selon nous pour avancer.

Désormais, chaque mois, les équipes volontaires ont à leur disposition un baromètre de la santé de leur fonctionnement. Chaque mois, elles ont la possibilité de s’interroger en collectif sur les résultats du moment, les niveaux atteints sur chaque item, leur évolution, leur ambition d’avancer ou de se contenter du niveau atteint, en fonction de leurs priorités. De débattre de sujets qu’on ne prend jamais le temps d’aborder en équipe. Et d’agir, par ce seul échange et/ou par des mesures correctrices décidées ensemble. De le faire en totale autonomie ou de demander le soutien de notre équipe d’accompagnateurs des collectifs de travail. C’est une des caractéristiques essentielles de l’Equipomètre et qui le différencie des modèles mobilisés au début de son élaboration : ce n’est pas un baromètre social à l’échelle de la collectivité (surtout avec le biais du volontariat), c’est un outil opérationnel au niveau micro de l’équipe.

La machine est bel et bien lancée. Les premières vagues de résultats font surgir des écueils qui sont assez logiques : une tendance des équipes à se surnoter donc à fuir la confrontation avec leurs difficultés, donc à ne pas mobiliser l’aide proposée par notre Mission ; des N+1 qui ne savent pas (ou ne cherchent pas…) comment se saisir du sujet ; des interrogations sur le rythme mensuel, finalement très rapproché ; … Les premiers retours montrent aussi quelques équipes qui adaptent leur fonctionnement, d’autres qui se saisissent de l’Equipomètre pour interpeller leur hiérarchie. Des progrès minoritaires mais qui sont déjà une petite victoire…

Rendez-vous dans quelques mois pour confirmer, infirmer, affiner et creuser ces premiers retours d’expérience…

Thierry Charmasson

… et l’équipe de la Mission d’accompagnement du management des collectifs de travail de la Région Occitanie : Catherine Bonnet, Jean-Luc Nève, Valérie Vigne.

Ce récit inspirant exprime un point de vue. Il est surtout une invitation à en initier d’autres, en prolongement ou en rebond par rapport à cette esquisse. Les réactions et commentaires sont donc les bienvenus…

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